Correspondance à Albert Richard (1881-1885)

Ces lettres sont conservées aux Archives municipales de Lyon (Série I, 21/56), sont numérisées et visibles en ligne.

HENRI BESLAIS À ALBERT RICHARD
Tours, le 28 juillet 1881

Monsieur,

Au nom du Comité des Républicains socialistes formé lors de votre conférence à Tours, j’ai l’honneur et le plaisir de vous informer que nous espérons pouvoir organiser prochainement la conférence que vous nous avez promise.
Nous avons déjà récolté plus des deux tiers de la somme nécessaire à cet effet. Et malgré la tiédeur et, il faut bien le dire, le mauvais vouloir bête des intéressés, c’est-à-dire des ouvriers, à répondre à notre appel, nous espérons sous peu mener cette œuvre à bonne fin.
Sans avoir, Monsieur, la prétention de vous dicter votre programme, le comité a cru pourtant nécessaire de me charger de vous faire connaître qu’il serait important de mêler dans votre discours la politique à la question sociale ; ces deux questions étant connexes du reste, autrement un grand nombre de gens nous entendraient peu.
Il est urgent de faire bien comprendre à tous ces déshérités républicains mais opportunistes parce qu’ils prennent depuis 10 ans leurs idées politiques dans la petite république et le non moins petit national que ce n’est pas absolument pour le plaisir de faire une niche à Pierre en mettant Paul à sa place que depuis 80 ans nous avons fait quatre révolutions et que toutes les secousses qui ont agité notre pays depuis ce temps n’ont pas eu d’autre point de départ que le désir d’une réforme sociale, réforme dont malgré tout l’avènement est inévitable, violemment sinon pacifiquement.
Il faut bien leur dire, s’ils ne s’en sont pas encore aperçu que notre législation fabriquée par des bonhommes réactionnaires et cléricaux ne repose que sur l’iniquité et est toute dirigée contre les petits.
Il est avantageux, Monsieur, que vous commandiez bien l’esprit de l’ouvrier tourangeau dont sera composé en majorité votre auditoire et le comité estime que quelques renseignements à son sujet ne seront point superflus.
La majorité en est républicaine, absolument anticléricale mais opportuniste, seulement son opportunisme provient de ce que tous ses effets de fils depuis 10 ans sont gangrénés de ce vice politique. Elle deviendrait volontiers socialiste avec une bonne direction.
Témoin les élections municipales dernières qui ont montré qu’il n’était pas impossible d’ébranler le colosse gambettiste puisque pour saper la puisse du pseudo radical Rivière, quelques faiseurs parés du manteau socialiste ont fait branler ce matamore sur sa base.
En général, les ouvriers méprisent P. et parce qu’ils ne voient en lui et à juste titre qu’un réactionnaire, un très grand nombre ne voient dans Rivière qu’un farceur ambitieux. Il n’y a que le père Joubert qui jouisse d’une considération presque générale, aussi nous croyons qu’un homme de talent et sincèrement socialiste n’aurait pas de peine à secouer le crédit de fantoches qui nous roulent absolument depuis 10 ans.
C’est pourquoi, nous croyons, Monsieur, que vous pénétrant de ces avis et avec le talent qui vous distingue, vous nous ferez une conférence fructueuse pour le parti républicain socialiste.
Mais nous n’avons pas de temps à perdre si, comme il en est question, le gambettisme, nous ménageant un coup de jarnac, faisait les élections le 21 août.
Agréez, Monsieur, l’assurance de ma considération bien distinguée.
Le secrétaire, Beslais
ouvrier doreur, rue de la Guerche 3

Près de clore la lettre, un citoyen nous offre de parfaire la somme nécessaire, c’est pourquoi, Monsieur, nous voudrions que la conférence eut lieu le 7 août.
Nous vous prions de nous répondre immédiatement si nous pouvons compter sur vous pour ce jour.
B.

HENRI BESLAIS À ALBERT RICHARD
Tours, le 26 août 1881

Mon cher Richard,

Je me suis empressé d’aller ce soir communiquer votre lettre à notre ami Fautras, il était absent , seulement sa propriétaire m’a promis de lui remettre à sa rentrée.
Mercredi, je l’ai rencontré sur le quai et nous sommes allés avec plusieurs autres pour avoir des éclaircissements sur les calomnies qu’un certain tisseur de Lyon aurait débitées sur votre compte. Nous n’avons point rencontré ce coquin, c’est pourquoi Fautras y est retourné hier soir et il l’a vu. Sommé de s’expliquer, ce mauvais drôle a eu l’imprudence de nier ses calomnies en présence de celui-là même à qui il les avait débitées, mais Fautras vous expliquera cela plus en long. J’ai appris aujourd’hui ce fait indirectement.
Ce qu’il y a de déplorable, c’est qu’il y a longtemps, c’est-à-dire bien avant dimanche, qu’on accumule sur votre tête calomnies sur calomnies et ça n’a pas peu contribué à vous ôter un grand nombre de voix tant en ville qu’à la campagne, aussi je ne dérage pas. Il faut absolument, dans votre intérêt et dans celui de la démocratie, faire justice de tous ces bruits.
Fautras va probablement vous écrire demain, en tous cas je dois le voir dimanche matin et s’il ne l’avait pas fait, nous vous enverrions une lettre plus détaillée que la présente.
À vous d’amitié,
Beslais

LOUIS DUFOUR À ALBERT RICHARD
Tours, 30 septembre 1881

Cher citoyen Richard,

J’ai attendu pour mieux vous renseigner sur les affaires. Nous avons eu une réunion à la commission d’organisation et nous nous sommes décidés de faire la réunion du comité que nous ferons après votre conférence pour la libre-pensée.
Bonne chance, je vous souhaite. Il faut à tout prix que votre succès soit indéniable, du reste votre sujet est bon pour la ville.
J’y tiens parce que vos ennemis qui ont du foin dans leur botte ont fondé un journal. Le Tours journal dans lequel il est fait appel aux chambres syndicales et à leur concours pour leurs revendication dont le directeur caché ou visible est Grassier et quelques dissidents du cercle comme secrétaires et il n’a qu’un but : tromper les travailleurs par son libéralisme et démasquer ses batteries au moment des élections en soutenant la candidature Belle.
Je regrette que quelques travailleurs aient été jetés à la porte par l’intolérance du cercle. Ces gens du cercle ne se décident que par la force à sortir de leur opposition et quand ils en sortent, ils ne sont jamais que de médiocres amis, enfin notre milieu est maigre pour les circonstances. Je tâcherai d’en tirer partie mais que de flots d’encre contre nous je vous verse d’avance. La lutte est rude, si je pouvais répondre des autres comme de moi, il me semble que tout irait bien. Enfin, nous tâcherons de donner une impulsion au cercle ; peut-être y trouverons-nous un peu de visibilité dont il a tant besoin. Il fut très attaqué par l’Indépendant, ses autres ennemis fondant un journal, nous tâcherons de lui donner un peu plus d’amour propre.
Rien autre chose à vous dire.
Je vous serre la main,
Dufour

Les affaires local de l’Hospice sont très bonnes pour nous et nous donnent un regain de popularité.

LOUIS DUFOUR À ALBERT RICHARD
Tours, 24 octobre 1881

Cher citoyen Richard,

J’ai reçu votre petit envoi de journaux et les ai distribués à nos amis.
Tous approuvaient sans réserve vos excellentes idées. Même le joli bavard que vous savez, ce zélé prétentieux, m’a déclaré que c’était très bon, très clair mais que vous seriez et resteriez incompris. Pour moi, tel n’est point mon avis, vous serez goûté même pas ceux qui semblent les plus rétifs à tout progrès parce que vous savez vous faire comprendre. Pour moi, je vous remercie du fond du cœur, les défenseurs du peuple, ceux qui aspirent à lui donner plus de dignité, plus de grandeur d’âme, plus d’élévation dans le caractère par le bien-être sont assez rares pour que ceux-là soient aimés du peuple qu’ils défendent souvent sans grand profit.
Seulement votre magnifique lettre s’étale dans un journal complètement inconnu à Tours qui semble enchanté d’avoir peu pour une fois offrir à ses lecteurs un morceau de haut goût. Quelques-uns ont paru affecté. J’ai donné quelques explications qui ont paru satisfaire.
Au cercle, j’ai demandé au bureau la conférence pour le 13. Après d’interminables explications, le 20 fut accepté, pour les fonds. À une demande, j’ai répondu que nous n’avions à nous charger que de l’affichage ; s’il n’était pas possible de faire plus, vous vous chargiez du reste ; les plateaux seront prêts que pour la location. Bredif et Corbeau m’ont dit qu’il y avait de l’argent en caisse et qu’à la réunion de janvier, ils demanderaient de pouvoir s’en servir pour toutes les conférences ayant un caractère de politique générale. Ils paraissaient avoir peur que d’autres qui ne sont pas en odeur de sainteté ne demandent pour eux ce qu’on a fait pour vous.
Je vous remercie pour votre photographie que je désirait tant sans oser vous la demander et de votre lettre qui sera pour moi le souvenir fortifiant de luttes pacifiques si les intéressés suivent vos sages conseils et s’ils ne les suivent pas une consolation dans le souvenir du devoir accompli.
Veuillez agréer cher citoyen Richard avec mes meilleurs sentiments l’assurance de mon dévouement à vous et à la République sociale.
Dufour

EDOUARD FAUTRAS A ALBERT RICHARD
Tours, Novembre 1881

Mon cher Richard,

Nous vous attendons pour dimanche matin. La conférence aura lieu à deux heures comme d’habitude.
Les affiches ont été faites pour la ville et campagne, seulement il n’a pas été jugé à propos, peut-être à tort, de ne pas faire de lettre. Les fonds manquaient.
Chacun de son côté doit faire des invitations particulières.
Je vais écrire à Monts, Lorigny et Cormey, ainsi qu’à Lavonnières.
Le reste à dimanche,
Ma femme fait bien des compliments à toute votre famille. Ne les oubliez pas pour moi. Je vous serre vigoureusement la main.
Votre ami,

E. Fautras
Les compliments de tous les amis.

EDOUARD FAUTRAS A ALBERT RICHARD
Tours, 23 décembre 1881

Mon cher Richard,

J’allais vous écrire lorsque j’ai reçu votre lettre. Je n’ai donc qu’àn répondre aux diverses questions que vous me faites :
Les exemplaires du discours du 20 septembre ont été distribués comme suit :
Cent exemplaires au cercle Républicain ;
trente au cercle Rabelais ;
Une vingtaine aux chambres syndicales ; auxquels j’ai joint vingt brochures anciennes ;
Quatre à l’Union libérale ;
Et le reste aux amis.
L’incident Losserand, d’après ce que m’a dit Dufour, perd beaucoup de l’importance qu’on lui avait prêté. Tout d’abord, notre homme a dû beaucoup rabattre à ce sujet. Il aurait laissé croire à Dufour que vous étiez son homme, seulement qu’il avait besoin de vous exposer certains griefs et qu’il vous écrirait en avoir le cœur net.
Néanmoins, il avait accepté de faire partie du bureau pour la conférence du citoyen Dambricourt, ce-dernier l’en ayant prié. Son fils ayant été malade, il n’a pas pu y assister. En passant, j’ajouterais que son fils est mort et que M. Dambricourt et quelques membres du bureau de la libre pensée assistaient à l’enterrement. C’est un homme qu’on choie. Il ne serait peut-être pas étonnant que Dambricourt soit un candidat futur.
Que faut-il conclure de tout cela ? […] sais ? Je retarde toujours le moment d’une explication, persuadé qu’elle sera meilleure.
Jusqu’ici, il a eu l’adresse d’échapper à Dufour en se mettant au-dessus des personnalités. Si c’est une habileté, l’homme a bien en effet quelque chose contre vous ; si c’est une question de principe, comme il le dit, je crains que cette manière de voir ne nous soit nuisible.
En ce qui concerne mes projets pour le cercle, je les ai à peu près abandonnés. Losserand ayant complètement modifié les siens… Son projet primitif pour le mode de formation du Comité est absolument transformé. Son programme est socialiste, mais nous avons bien du mal à faire accepter ce titre.
À part cela, je ne crois pas qu’il soit utile d’intervenir. J’oubliais ! Il faudrait faire revenir le cercle sur la détermination qu’il a prise de faire accepter son programme en réunion publique. C’est une satisfaction donnée à Losserand, mais quand en aura-t’on fini avec toutes ces pantinades qui n’aboutissent absolument à rien.
S’il se présentait quelque chose d’ici-là, je vous le ferai savoir.
Parlons maintenant de la conférence du citoyen Dambricourt. Je dois vous dire quelle est à peu près l’opinion générale : conférence beaucoup trop longue, à peine comprise par un demi quart des spectateurs, tant elle est bourrée de faits, d’anecdotes et de pages d’histoire ancienne, car l’histoire ancienne a fait les frais d’une grande partie de la conférence.
Peu d’impression durable : il est vrai que l’orateur doit en faire encore deux autres.
Voici mon impression personnelle : M. Dambricourt n’est pas orateur. Rien dans le visage, rien dans la voix, rien dans les gestes qui donne une idée de ce titre. C’est un causeur émérite, un déclamateur qui élève sa voix sur un diapason élevé lorsqu’il veut empoigner son public par quelques périodes ronflantes et sonores.
Avec cela, l’homme marche, se passe la main dans les cheveux, cherche parfois des idées rebelles et sort d’embarras par des boutades et des saillies qui ne sont pas toujours à propos, s’assied pour se reposer des efforts qu’il a fait, feuillette toute sorte de livres et de petits papiers, s’agite sans cesse et fait une dépense considérable de nerfs pour parler quatre heures de temps et trouver le moyen d’amuser son public.Ai-je besoin de parler du sujet ? Je ne le crois pas. Mais je me demande et ne puis comprendre tout ce que venait faire ici cette histoire ancienne, ces magots de chive, ces brahmes, ces bronzes, cette Grèce, foyer de la libre pensée avec tout son cortège mythologique défilant devant nos yeux comme une galerie de souverains.
Cela peut être bon pour un public choisi, voire pour une séance d’Académie, mais fait triste figure dans une assemblée populaire, ou le bon sens du public n’est pas accessible à toutes ces finesses.
En somme, le citoyen Dambricourt est un homme d’esprit qui se fourvoie, avec lequel il faut compter mais avec qui vous pouvez vous mesurer sans crainte, ce que je vous engagerais vivement à faire si l’occasion se présentait ?
M. Michel Ducoux était absent lorsque je me suis présenté chez lui ; mais j’ai entendu parler de la fondation d’un journal. L’esprit public qui avait probablement grossi l’affaire avant qu’elle nous revienne trouve déjà cent mille francs pour la fondation.
Entre nous, c’est pour la fantaisie, mais un journal serait le bienvenu à Tours et je crois qu’il réussirait. Cela pourrait peut-être soulager vos finances ? Il resterait à savoir dans quelles conditions et avec quel programme politique il serait fondé.
Je pense encore que la grande influence que vous avez sur l’esprit bourgeois libéral lui-même vous donnerait la main sur la direction qui serait imprimée à la chose.
Cette dernière réflexion m’est inspirée par quelques paroles de Dufour, que j’ai tenu à voir avant de clore ma lettre et pour vous donner des renseignements sur les bouquins qu’il pourrait vous procurer. La comparaison, m’a-t’il dit, entre Richard et Dambricourt est fait. Elle n’est pas favorable au dernier.
Dufour vous prêtera tous les bouquins qui pourraient vous intéresser et je vous les enverrai par le messager.
Je suis maintenant installé rue de l’Horticulture. À la suite d’une querelle où Morancé a cassé la vaisselle, sa femme l’a quitté. Elle est chez son père. Il ne paraissent ni l’un ni l’autre vouloir se rapprocher.
Mes affaires ne vont pas comme sur des roulettes. J’étais le 20 à la banque de prêt. Le directeur m’a dit qu’il fallait que je m’arrange avec celui qui m’a fait faire cette opération.
Je suis sorti désolé, car en ce moment j’ai absolument besoin d’argent et je ne puis en avoir ni d’une façon ni d’une autre. Ce n’est pas tout, la société qui a émis ces actions a le droit de me poursuivre.
Comment vais-je faire pour vous rendre votre argent ?
Comment vais-je faire pour payer les versement que je dois à ma société ? Car il faut absolument que je les fasse, sans quoi je manquerai à mes engagements et je serais mis à la porte. Comment ferai-je après pour payer si je ne puis plus compter que là-dessus. J’ai mis là tout mon espoir.
Maintenant pour votre argent, vous ne pouvez, sans en souffrir, l’immobiliser plus longtemps. Il faudra que vous paie une intérêt que nous déterminerons jusqu’à ce que je vous aie remboursé.
J’ai écrit à Lamiche pour qu’il me rendre compte. Il a répondu que si j’avais besoin de quelque argent, il me l’enverrait. Je ne sais quand cela sera fini, mais un profond [regret?] de vous avoir engagé dans cette affaire.
Un ami désolé qui vous serre la main,
E. Fautras, rue de l’Horticulture 16

PS : ma femme vous dit mille amitiés, sans oublier madame Richard, ainsi que la famille. Une poignée de mains à votre frère.
Mille choses de la part des amis.

(à propos, j’ai été obligé de régler ce qui restait pour le Cirque)

EDOUARD FAUTRAS A ALBERT RICHARD
Tours, décembre 1881

Mon cher Richard,

Je me suis occupé chez les libraires pour savoir combien ils avaient vendu d’exemplaires de votre brochure. Barat en a vendu 27 et les deux autres à peu près une vingtaine. Il en reste encore beaucoup comme vous le voyez.
Ecrivez-moi ce qu’il faut faire à ce sujet et je liquiderai la situation pour vous envoyer le nombre d’exemplaires qui vous seront nécessaires.
Je vous remercie beaucoup ainsi que ma femme de la photographie que vous nous avez envoyée.
Je tiens aussi à vous féliciter pour la lettre que vous avez [fait] paraître dans le Peuple français. À ce sujet, Dufour se proposait de vous écrire pour vous demander quelle idée singulière vous avez eue de faire paraître une lettre dans un journal Jéromiste.
Il s’est ouvert à moi sur ce projet. Je lui ai répondu que de mon côté je ne voyais aucune objection à faire, que pour le bien que jusqu’ici, la presse bourgeoise quelque soit sa nuance avait fait à la cause que nous servons, il m’était indifférent que nous nous servions d’un organe ou d’un autre.
Il m’a répondu que pour lui la chose ne lui déplaisait pas précisément, mais qu’elle pourrait nous nuire aux yeux de la masse d’ignorants.
Peut-être a-t’il raison ? Le peuple s’est tellement habitué à chercher le fort avec la forme de gouvernement que nous avons, le bonheur de posséder, qu’il ne peut comprendre que là ne soit pas l’idéal qu’il a rêvé. La République, voilà son fétiche. En dehors, il ne voit plus. Et si des hommes comme Dufour ont de pareilles susceptibilités, jugez de [ce] que doivent être les autres.
Réfléchissez.
Mercier a écrit. Il est à Paris. Ses idées sont bien changées. Il ne désertera pas et restera des nôtres. Il nous charge vivement de serrer la main de son ami Richard qu’il regrette beaucoup de n’avoir pas vu avant de partir. Nous lui envoyons votre adresse qu’il a demandée.
Je n’ai pas dans la dernière quinzaine [pu] me présenter au Cercle. Je ne sais comment je vais faire. Sortant de chez Girault à 7 heures ½, le temps de me rendre, de dîner et de retourner, il est presque dix heure. Néanmoins, je vais me présenter pour que nous nous préparions à organiser la conférence.
Je vous remercie de vous être occupé de mon affaire. Les choses vont toujours lentement et la première action n’est pas encore vendue. On m’a promis de me la vendre cette semaine. Je regrette de vous gêner pour vos provisions d’hiver et s’il était actuellement en mon pouvoir d’en finir, je vous promets que ce ne serait pas long.
Mon beau-père et ma belle-mère nous prient de vous souhaiter le bonjour et de vous dire bien des amitiés. Ils vous remercient de l’envoi de votre brochure qui circuler beaucoup à Périgueux.
Morancé et tout la famille vous font mille compliments. Ils sont bien portants.
Ma femme vous embrasse et souhaite bien le bonjour chez vous.
Je vous prie pour mon compte de serrer la main à votre frère, de présenter mes respects à Mme votre mère et à Mme Richard, et d’embrasser tous les enfants, surtout la petite Régine.
Je vous embrasse.
Votre dévoué,

E. Fautras

PS : Pour la question des librairies, n’oubliez pas de me dire que nombre d’exemplaires vous voulez, si vous ne voulez pas en laisser quelques uns, enfin tous les détails nécessaires.

EDOUARD FAUTRAS A ALBERT RICHARD
Tours, 29 décembre 1881

Mon cher Richard,

La première chose que je vais vous dire, c’est au sujet de nos affaires.
J’ai reçu une nouvelle lettre de Lanivet qui me propose un arrangement à l’amiable. Mais je ne sais quand tout cela se terminera.
Ce que je sais en revanche, c’est que j’ai absolument besoin d’argent en ce moment. Je lui ai donc écrit de m’en envoyer pour ces jours-ci.
Les sommes dont j’ai besoin peuvent se résumer ainsi :
1° Deux cent francs pour pourvoir à des besoins urgents ;
2° Trois cent francs pour versement du premier janvier à ma société.
Mais voilà l’embarras, c’est que je ne puis toucher à cet argent sans vous en faire part, car j’ai besoin de cet assentiment.
Or voici ce que je vous propose : je vous payerai un intérêt de 10 pour cent sur les onze cent fra,cs que vous m’avez prêté, depuis le mois d’octobre jusqu’au remboursement, ce prêt garanti par l’argent placé par moi à la société que nous fondons et qui commence ses opérations dès aujourd’hui, le tout formant une somme de cinq cent francs au bout de l’année. Au besoin, je pourrais inviter mon frère à vous donner la même garantie.
Vous ferez à ce sujet ce qu’il vous conviendra. Je ne puis que vous garantir que les opérations commerciales que nous ferons seront conduites avec la plus grande prudence.
Si j’insiste sur ce point, c’est que je serais heureux de pouvoir trouver une situation indépendante, et que d’ici quelques temps, je serai employé dans la maison.
Écrivez-moi donc par retour du courrier si je dois verser les trois cent francs à la caisse de la société. Il faut que je sache samedi à quoi m’en tenir car la réunion définitive à lieu le dimanche de grand matin.
Je n’ai pu encore aller à l’Union libérale pour retirer votre article. Je vous envoie les volumes de Dufour par Fontaine.
En ce qui concerne Arsault, je ne l’ai pas encore payé. C’est le seul. Mais je le payerai avec les fonds que j’attends.
L’action n’est pas encore vendue. Je n’y comprends rien.
Je profite de cette lettre pour vous envoyer mes meilleurs souhaits du jour de l’An à vous et à votre famille.
Embrassez les enfants et serrez la main à votre père.
Votre ami,

E. Fautras
J’oubliais Dufour et Garreau.

On ne voit plus Beslais. M. Mame a voulu le mettre à la porte. Je vous dirai cela une autre fois.

LOUIS DUFOUR À ALBERT RICHARD
Tours, 1 février 1882

Cher citoyen,

Pardon pour ces deux mots hâtifs. Nous nous sommes réunis mardi au siège des chambres syndicales et il a été décidé de donner le 12 février une réunion des chambres syndicales afin de leur expliquer notre mandat.
Pour que notre réunion aie un but utile, nous avons décidé à l’unanimité de vous demander votre concours et je leur ai promis qu’ils pouvaient compter sur vous. Cette réunion pourra être composée de cinq cents personnes, peut-être plus.
Je demande que vous vous éleviez contre l’indifférence et la peur et les rivalités qui divisent les ouvriers et les empêchent de réussir ; puis leur faire un tableau d’une bonne organisation et leur montrer que si elles n’ont pas fait plus de progrès dans les résultats à obtenir, la faute en est au manque d’expérience qu’ont les ouvriers dans les discussions et même faire voir un coin de votre programme, ce qui nous aiderait beaucoup à le faire accepter sans gros changement.
Je disais donc nous vous donnons rendez-vous dimanche 12 à deux heures.
Veuillez agréer, cher citoyen, les salutations de tous et l’assurance de mon dévouement pour vous et la République sociale.

Dufour
Tours, 1 février 1882

SIGISMOND LOSSERAND A ALBERT RICHARD
Tours, le 7 février 1882

Citoyen Richard,

La causerie (c’est en effet une causerie que nous attendons de votre bienveillance), la causerie est un attrait que nous avons cru devoir ajouter à notre ordre du jour afin d’intéresser les indifférents à notre projet. Les membres des corporations groupées seront convoquées individuellement et par lettres, les chambres syndicales ne voulant en aucun cas s’occuper de politique ou de socialisme.
Ne confondons pas : elles ne veulent pas s’en occuper officiellement mais il est certain que le mouvement s’opérera par elles seulement.
Je puis certifier que les délégués des groupes ouvriers à l’Union sont en général animés du meilleur esprit. Il ne leur manque que la confiance en eux-mêmes et un but à atteindre, toujours indirectement bien entendu.
Il est fâcheux que notre cause, si juste pourtant, ne soit pas mieux comprise et que nous nous heurtions perpétuellement à des difficultés de détails qui n’existent pas pour nos adversaires.
La réunion de dimanche est organisée à l’effet de développer l’idée émise au cercle et étudiée par lui. Les délégués de l’Union n’ayant pas voulu se charger de provoquer l’adhésion de leurs groupes au projet de formation d’un comité central républicain. Il s’agit de faire comprendre l’importance et pour ce faire, nous faisons appel à votre dévouement à la cause socialiste et vous prions de nous prêter l’appui de votre compétence en la matière.
Recevez, citoyen Richard, mes sincères salutations.

Losserand, rue St Symphorien, 24. Tours

NB : Dufour et moi avons été chargés par l’Union des chambres syndicales de vous prier de vouloir bien nous prêter votre concours, c’est donc en nom des délégués des groupes constitués que notre demande vous est faite.

LOUIS DUFOUR À ALBERT RICHARD
Tours, 9 février 1882

Cher citoyen,

Le 31 janvier, au cercle, nous avons eu la visite de M. Rivière qui nous a fait un long discours sur la politique actuelle et dévidé un long panégyrisme en l’honneur de Gambetta qui, dit-il, malgré ses fautes ne peut manquer de mener à bien l’œuvre commencée, a tapé dur et ferme sur l’extrême gauche et son groupe fermé.
Corbeau lui a fait une demande relative à la grève de la Grand’ Combe qu’il éludée en disant qu’il n’avait pas de rapport officiel.
Moi, j’ai défendu les intransigeants et lui ai déclaré n’avoir aucune confiance dans la chambre actuelle (il en a sauté sur son siège ). Il faut avouer que tout en ne faisant pas de recrue […], il a une certain autorité sur ceux qui viennent à nous plus lentement.
Je désirerai que quelques samedis où les affaires vous appelleraient à Tours, vous nous fassiez de ces petites causeries qui donnent tant de sang à un groupe.
Un fait regrettable s’est passé au départ de Monsieur Rivière. Beslay arrive gris avec des intentions certainement hostiles, traite fort mal tous les membres du cercle, parle même de coup, etc. finit par leur dire qu’ils sont complètement incapables de rien faire et démissionnera sur le coup. Heureusement, autre chose de plus rassurant pour l’avenir, la conférence d’Ambricourt ou Dambricourt a jeté un verni sur vous. L’orateur jadis chéri du public semble avoir renversé son eau sucrée et vous faites autorité presque partout où l’on vous connait.
A propos, le citoyen Delaunay était délégué, m’a-t’on assuré, à votre conférence dernière par un groupe bourgeois pour faire un discours et vous (toucher). Après vous avoir entendu, il a déclaré à ces messieurs que vous êtes absolument dans des idées de la […]
Samedi dernier, Losserand qui semble ne plus se rappeler son opposition, a fait au cercle des propositions qui semblaient bonnes, c’est celle de réunir les syndicats ouvriers et le fait d’élire trois délégués chacun, qui s’aboucheront avec les délégués du cercle et formeraient un groupement capable de lutter avec avantages. À propos. Losserand me prie de vous serrer la main et de recevoir les remerciements des chambres syndicales réunies.
Je suis fort négligent pour écrire. Pardonnez le décousus de cette lettre. Je ferais un effort sur moi-même et si ça ne vous ennuie pas trop, je vous accablerai de ma correspondance toutes les semaines.
Je finis en vous faisant mille souhaits de réussite pour le bien de la République sociale.
À vous,

Dufour

PS : Fautras vous enverra quelque chose d’ici quelques jours, je vous retient à désirez le premier samedi que vous viendrez.
Rue St Symphorien 12
Tours, 9 février 1882

Je ne sais si Fautras vous a expliqué toutes les propositions à discuter dans la réunion générale de février. Losserand montre beaucoup d’activité, un peu excité par nous. Ses propositions sont bonnes, je crois, mais nous manquons de tête et nous ne savons comment aller pour le bien de notre cause ; devons-nous abandonner les bourgeois à leur triste sort ou nous lier avec eux ou bien s’en servir, ce qui est extrêmement difficile ??

LOUIS DUFOUR À ALBERT RICHARD
Tours, 3 mars 1882

Cher citoyen,

J’ai attendu quelques temps pour vous donner de plus complets détails et cependant, nous ne sommes guère plus avancés. Nous avons été reçus par le cercle Rabelais, la Ligue de l’enseignement, la Loge de la rue de Jérusalem.
Partout, bon accueil, félicitations, espoir de réussite, tout cela partant des lèvres. Au fond, on a peur du résultat final. Ma première idée est la bonne : quelques uns de ces messieurs, entre autres Proyer blague la banque sociale, le tout dit d’un aire de paysan du Danube, plein de bonhommie. Derrière le cercle Rabelais, il y a Delaunay, il vient d’en donner une preuve en offrant à toutes les sociétés de libre pensée régulièrement constituée une somme de dix francs votée par le cercle tourangeau de Paris, dont il est le président. Les petits cadeaux entretiennent l’amitié.
Septème, Belle, Mousier, Meneu, vénérable et conseiller municipal, les deux fois que nous l’avons vu, a pris soin de nous souligner que si nous ne réussissions pas, nous aurions au moins fait notre devoir et que quoi qu’il arrive, nous resterons toujours unis pour la conservation de la République. C’est plus franc.
Cependant, à Rabelais, quelques-uns me semblent bien disposés et ont délégué St-Hérant.
Nous avons réuni les peintres qui ne sont pas syndiqués et ils on nommé trois délégués.
Pour les chambres que nous avons réunies, une seule adhésion nous est encore parvenue. Mais s’ils ne viennent pas, nous les convoquerons par corporation. Dimanche, nous allons à la libre-pensée, ils sont 100. Ils nommeront leurs délégués.
Losserand va ce soir aux syndicat réunis, il va les remuer un peu. Sergent a été nommé président des tailleurs de limes le dimanche et le lundi, son patron lui donnait son compte. Il gagne maintenant 40 sous en apprenant à tailler, n’ayant pas pu trouver de forge. J’ai parlé l’autre jour de notre conférence. Ils ne croient pas que ce soit bien utile à l’heure actuelle. La commission n’étant encore qu’à l’état d’embryon, ils voudraient que nous soyons organisés pour que vous pesiez de votre influence sur les idées actuelles des délégués.
Pour moi, je crois que si nous voulons mettre des atouts dans notre jeu, il faut travailler ferme, se prodiguer, s’imposer presque. Le plus fort est fait, vous êtes connu. Désormais, il faut convaincre et remuer ces masses indifférentes à force d’être dupées et quand la réforme sociale sera sur toutes les lèvres, nous serons bien près du but. C’est pourquoi, je désirais qu’on ne change rien à la date du 19 mars parce qu’en travaillant vigoureusement, une fois bien connu les candidatures qu’on voudrait nous opposer, elles disparaitraient devant l’acclamation, du moins nous l’espérons.
Tout à vous,

L. Dufour
Tours, le 3 mars 1882

J’ai vu Losserand, il n’a rien pu faire aux chambres réunies. Il n’était pas en nombre, mais il ne m’a pas caché les difficultés qu’il y avait à vaincre.

LOUIS DUFOUR À ALBERT RICHARD
Tours, 6 mars 1882

Cher citoyen Richard,

Je répond à votre lettre, j’ai fait tout ce qui était possible à la réunion de la libre pensée dont sont presque tous nos amis. Ils m’ont déclaré l’impossibilité de faire une souscription pouvant recueillir une somme suffisante. Au cercle qui se réunit samedi, s’il y a du monde, on peut faire dix francs et encore pourvu que les mêmes, toujours, souscrivent. Au-dehors, pour moi, il ne faut rien compter. Dans la fatigue, nous sommes sur le point de cesser tout travail. Partout, on hésite à donner, n’ayant pas d’argent. Ces messieurs espèrent que le comité fournit l’argent et touchera mieux, et cependant, avec Losserand, nous étions partisans que cette conférence se fasse. Nous aurions fait notre possible et rien n’a pu aboutir.
Je ne puis qu’attendre votre détermination, en vous priant d’écrire directement au bureau, quelques membres n’aimant pas les lettres individuelles, ce qui cependant, dans notre intérêt, ne les empêchera pas.
Veuillez, malgré les difficultés, agréer l’assurance de notre entier dévouement.

Dufour
Tours, le 6 mars 1882

EDOUARD FAUTRAS A ALBERT RICHARD
Tours, le 19 avril 1882

Mon cher Richard,

Si cela ne vous gênait pas trop, vous me rendrez service si vous pouviez m’envoyer cinquante francs. Je suis horriblement gêné et je ne sais où donner de la tête ces jours-ci.
Le banquier qui m’a avancé trois cent francs sur l’action libérée exige que je lui rembourse 150 francs.
Faites ce que vous pouvez et je vous remercie d’avance.
Nos amis politiques ont eu un tort grave en se mêlant aux élections municipales. Je ne sais rien de plus. Dites bonjour à toute votre famille. Les affaires de notre société marchent très bien. Je vous serre la main.

Fautras

LOUIS DUFOUR À ALBERT RICHARD
Tours, 11 mai 1882

Cher citoyen Richard,

J’ai été bien négligent, voilà tout. J’espérais vous écrire lorsque nous aurions abouti à quelque chose et votre lettre quelque peu ronfleuse me touche sur le dos avant notre travail final.
Les élections municipales complémentaires nous ont surpris pendant l’élaboration du programme et nous avons présenté aux électeurs deux candidats dont l’un, Fournier, était soutenu par nous et Coursière, par les bourgeois, était pour nous nous le commencement de l’union. Nous présentons un programme aux candidats qui ne fut pas affiché étant incomplet. Ils se sont engagés à le soutenir, ce programme, quelque peu socialiste était notre premier pas. Un passage relatif au cumul a choqué la mairie qui s’est crue visée, à tort ou à raison, et aidée de la fraction modérée qui menait la campagne de dissolution depuis quelques temps, a forcé le conseil de donner sa démission.
Ah ! Comme ces gens-là ont peur d’un comité démocratique qui leur pose des conditions, eux qui jusqu’à ce jour en ont posé aux électeurs. Voilà pourquoi ils semblent aujourd’hui nous suivre si mal. L’autre soir, ils nous ont déclaré sans phrase ne pas accepter de programme et s’en référer à leur groupe disant « votre idée est la nôtre » mais toute cela est bon pour un mandat législatif, pas pour le mandat municipal. Leur passé répond de leur avenir (même ébréché).
La première élection, tout semblait aller comme sur des roulettes. Maintenant, ils semblent de fort mauvais coucheurs.
Pour la composition de notre liste, il n’y a que trois ouvriers pour le moment : Losserand, Corbeau et Grenier ou Garnier […] que vous connaissez : il fut présenté par Sergent et quoique ce-dernier ait quelques ennemis, même parmi ceux qu’il croit ses amis, nous espérons la faire passer.
Voilà grosso modo où nous en sommes. Nous tâcherons de nous en tirer à notre honneur si de nouvelles intrigues de la dernière heure ne viennent tout bouleverser. Si la division se produisait, c’est, étant donné l’état de méfiance où nous sommes tous, ce à quoi il faut s’attendre, nous aurions besoin d’un journal qui soit bien à nous pour expliquer au peuple ce qu’il a à attendre de certaines personnalités et puis, sans organe, la lutte n’est pas possible.
Le programme que vous avez envoyé au […] a été lu en assemblée. Il était exactement et à fort peu d’articles près, le même que celui de la commission.
Ce qui m’ennuie c’est que ces messieurs acceptent tous les programmes que vous leur présentez pour le mandat législatif mais pour le municipal, ils n’en faut pas. À la libre-pensée, ils sont fort contents de ce que vous avez dit au banquet. Je constate que quoi qu’en dise Enon qui n’y connait personne et malgré leur peu d’empressement à payer les frais de nos conférences, ils vous aiment tous et si votre présence aux jours d’assemblée étaient un peu plus rapprochés, ça serait très bien. Nous demandions l’autre jour à Rivière un local, le Cirque par exemple, pour nos orateurs (nous pouvons l’avoir d’après le cahier des charges). Il a répondu qu’il ne peut le prêter quand on ne lui demandait pas. Bredif a répondu : on le prête aux orateurs comme Belle mais pas au citoyen Richard par exemple. Le maire n’a pas répondu.
Je passerai chez Michel Ducoux demain, n’ayant pas le temps ce soir.
Je vous écrirai mercredi prochain ayant une réunion mardi qui doit être définitive. Tâchez de vous reconnaître dans ma lettre et veuillez agréer les salutations de votre dévoué,

Dufour

LOUIS DUFOUR À ALBERT RICHARD
Tours, le 24 mai 1882

Cher citoyen Richard,

Voici le commencement de la dislocation. Ces messieurs voyant un des leurs, monsieur Billière, tomber en queue de liste sont tellement vexés qu’ils ont résolu à dix qu’ils sont environ, de forme rune liste et malgré leur haine bien marquée pour ce qu’on appelle la droite du conseil. Ils se présenteront tous devant les électeurs sans s’occuper de nous et de nos revendications.
Pour moi, je crois que si nous avions un peu d’énergie, quoi qu’étant sur un fort mauvais terrain, nous les amènerions à composition mais je n’ose pas l’espérer. Parmi nous, nous avons des personnalités comme Boucheron qui se vendent par une flatterie et prêchent la modération jusqu’à l’abaissement complet. C’est ainsi qu’il a soutenu que les bourgeois qui ne veulent pas de programme et conseillaient de ne pas en faire. Heureusement qu’il était seul. Je vous disait que nous étions sur un mauvais terrain. Notre tort, c’est de faire de la finasserie avec ces messieurs. Pour moi, aujourd’hui, je vois que si nous avions été droit devant nous, sans nous arrêter aux questions municipales, notre programme serait fait, le comité ne suffirait pas. Cet échec qui peut le tuer dans l’oeuf car jeudi nous avons réunion et beaucoup sont très vexés de cette situation. Il ne peut rien sortit de bien pour notre futur comité et puis nous ne serons plus pris au sérieux. Pour la discussion des candidats, j’avais fait une proposition qui pour moi était la plus sage. C’était de ne pas s’occuper de discuter sur les noms bourgeois qui nous étaient imposés pour l’union, mais de discuter seulement sur le programme et nos candidats à nous. Tous les modérés sont tombés bons derniers et vexés, nous abandonnent à notre triste sort.
Notre programme, c’est vrai, les empêchait de dormir et pourtant, il est bien châtré le malheureux. Un article surtout était bien et a été censuré par le cercle Rabelais. C’est celui qui touche l’article 8 du cahier des charges qui a trait à la location du Cirque. L’administration municipale, d’après cet article, a le droit de disposer du Cirque comme bon lui semble. Alors nous le demandons sur le programme et ces bons bourgeois ne l’entendent pas de cette oreille. Ils ont refusé catégoriquement. Je suis pressé, j’en passe. J’ai été voir monsieur Michel Ducoux, il me dit que ses amis sont trop absorbés par les élections pour pouvoir s’occuper du journal mais qu’aussitôt cela fini, il s’en occuperait sérieusement. Nous avons parlé de vous. Il regrette, comme tous du reste, que vous ne soyez pas à Tours où vous vous feriez certainement aimer et connaître et, pour que le mal qu’on s’est donné ne reste pas stérile, beaucoup d’heures sont en amont aujourd’hui et il ne reste jamais trop de temps pour travailler. Dites-moi donc quelle était la tactique à suivre en cas de dislocation et faites-moi une réponse au point de vue général, que je la fasse lire surtout à Losserand, lui qui a une grande influence qu’il doit à la gravité de sa parole surtout.
Bien le bonjour de la part de tous,
Agréez, citoyen, l’hommage de mes meilleurs sentiments.

Dufour
Je vous écrirai le résultat du jeudi

LOUIS DUFOUR À ALBERT RICHARD
Tours, 1882

Cher citoyen,

Si j’avais pu vous tenir au courant du mouvement électoral, je l’aurais fait mais nous avons attendu jusqu’au dernier moment et la lutte en est plus vive à l’heure actuelle.
Nous méprenant de la situation, nous avons présenté aux électeurs, en même temps que ceux qui ont accepté le programme des bourgeois, des nuances divers pour compléter la liste. Mais mal nous en a pris car des braves gens ont protesté à la dernière heure. C’était un rude coup. Nous l’avons, selon moi, très bien relevé dans une réponse où il est dit au milieu d’arguments ronflants que les noms républicains appartiennent aux républicains. Et ce matin une autre affiche portait les noms de ceux qui ont protesté.
Il faut que vous connaissiez l’origine ou plutôt la continuation de la scission. Michel Ducoux en qui tous avaient grande confiance était délégué par le cercle Rabelais, est venu nous demander en son nom, disait-il, l’abandon de notre programme et nous demandait dix noms des nôtres, ce que nous avons fait. Mais quelques jours après, on nous annonce qu’un nom seulement avait été pris. Alors la comédie était jouée. Nous nous remettons à la besogne. Michel Ducoux est rejeté de la liste avec son ami Royer qui l’accompagnait. Au cercle, on est tellement outrés que l’exclusion sera votée en assemblée générale en réponse à sa démission.
J’ai fait connaissance du citoyen Letertre qui est un orateur d’une incontestable valeur, à qui j’ai parlé de vous et de vos théories. Il est très avancé, c’est un homme intègre, un des rares internationaliste tourangeau. Il a des théories très avancées et est partisan d’un parti ouvrier. C’est un correspondant de Malon. Il est d’une influence réelle dans le canton d’Amboise et peut rendre de réels services à la cause.
Agréez, citoyen, mes sincères salutations.

Dufour

Je vous écrirai le résultat et la […]

LOUIS DUFOUR À ALBERT RICHARD
Tours, le 23 juillet 1882

Cher citoyen Richard,

Il y a trop longtemps que je ne vous ai donné des nouvelles de Tours. Rien d’ailleurs ne s’étant passé.
Mais aujourd’hui, la commission s’étant réunie pour reprendre les discussions du programme et l’ayant terminé, il ne reste plus qu’à l’accepter dans son ensemble.
Votre programme économique a bien été accepté mais il y a une modification qui l’a détourné complètement du but que vous vous étiez tracé.
Ainsi, on ne dirait plus chambre des intérêts économiques, on dirait chambre du capital et du travail.
Pour recourir à la banque sociale, il faudra une ferme garantie, c’est-à-dire une propriété quelconque qui ne pourrait ni aliéner ni engager. De cette façon, il n’y aurait qu’une banque de plus servant les intérêts patronaux et capitalistes. Il me semble qu’ils ont peu compris votre système et c’est regrettable. Il faut dire que le jour qu’ils ont accepté ce système, Losserand et Giraud n’étaient pas présents. Mais nous relaterons ça, l’essentiel du moins, à nos séances ordinaires toutefois, si vous avez des instructions à me donner.
J’ai fait un petit travail que j’ai donné à Corbeau où, après avoir fait de l’économie à ma façon, je conclus à la banque sociale. Je vous l’enverrai.
J’ai été chez vos libraires. Barat m’a vendu dix-huit feuilles et Grassier 37. Ils ne m’ont pas soldé la différence, Grassier ne se rappelant plus le nombre déposé et Barat me paraissait fâché de ne pas vous avoir vu.
Quand nous amènerez vous le citoyen Blanc ?
Nous causerons plus longuement après les séances des délégations, c’était là la difficulté. La lassitude vient du côté des travailleurs et je voudrais bien que nos travaux soient finis pour les reconnaissances d’un autre côté.
Agréez, citoyen, mes plus sincères salutations.

L. Dufour

LOUIS DUFOUR À ALBERT RICHARD
Tours, le 11 août 1882

Cher citoyen Richard,

Les délégations se sont terminées et ont adopté les premières questions : formation d’un comité central et ses attributions. Seulement, je trouve qu’il y a un point noir : les membre ne peuvent être pris que dans la commune de Tours.
La semaine prochaine, deux séances termineront les programmes politique et économique. Aussi, il y a lieu de se tenir prêt en cas qu’on vous appelle, ce que je crois inévitable.
Votre programme sera accepté certainement. Il y a lassitude visible et personne ne l’aura étudié assez sérieusement pour en prendre la défense au Cirque et puis, pour être vrai, les avancés ne l’acceptent que du bout des dents mais sans le combattre publiquement. Toutefois, une bonne explication pourrait réunir les extrêmes. C’est beaucoup de travail mais nous espérons. D’ailleurs vous avez une influence morale très puissante. Les bourgeois parlent de vous aves une sorte d’humour qui trahit leur envie et leur peur.
Mais pour moi, le besoin d’une conférence se fait sentir. Cela achèverait leur défaite et donner quelque foi à nos amis qui en manquent.
Les chambres syndicales vont probablement envoyer un délégué au Congrès mais ils sont assez divisés. Les uns ont donné leur préférence à l’Indépendant du Centre. Au ministère, il eut fallu qu’un travailleur aille défendre votre projet de constitution sociale. Mais, ils n’ont pas dû travailler assez fort. J’eus appartenu aux syndicats, je vous aurais proposé ce mandat, ce qui aurait élargi votre cercle d’action.
Le président de la libre-pensée me dit qu’aussitôt le temps venu, il organisera une réunion où vous serez invité à traiter du socialisme et de la libre-pensée. De ce côté, ils ont plus que de la sympathie pour vous, c’est presque de l’admiration.
Vous recevrez cette semaine des nouvelles du comité (en mon nom).
Donnez-nous donc des nouvelles du citoyen Blanc si vous en avez et vos conseils si vous le jugez bon.
Agréez, citoyen Richard, l’expression de mes meilleurs sentiments et de mon dévouement pour vous.

Dufour

Je suis malade et garde la chambre, pardonnez pour mes pattes de mouche, le malaise influe sur l’écriture.

LOUIS DUFOUR À ALBERT RICHARD
n.d.

Cher citoyen Richard,

Je vous envoie le programme tel qu’il a été accepté. Dites-moi s’il n’a pas changé de fond en changeant de forme.
Art. 1 – Organisation des associations quelles qu’elles soient en général donne à ces associations la personnalité civile, c’est-à-dire le droit d’ester en justice, d’acheter, de vendre, d’emprunter, d’hypothéquer, de faire tout contrat soit avec des particuliers ou d’autres sociétés de contrats ayant force de lois.
Art. 2 – Création dans chaque département de deux chambres, l’une de travail, l’autre de capital élues par tous les intéressés. Les chambres seraient en charge d’étudier les questions commerciales, industrielles et ouvrières et elle se réunirait en congrès deux fois par an et extraordinairement chaque [fois] qu’il serait nécessaire, et seront élues pour trois ans renouvelables par tiers.
Art. 3 – Fondation de tribunaux sociaux, feront respecter les contrats passés entre les travailleurs et les capitalistes. Ces tribunaux seront composés des représentants du travail et du capital en parties égales, élus par tous les intéressés.
Art. 4 – Fondation d’une banque sociale alimentée et gérée par l’État, ayant pour but relativement aux associations mentionnées dans le 1er article 1/ de faire des avances de fonds 2/ donne du travail en cas de chômage ou des secours en cas de sinistre et en général de venir en aide à l’industrie, au commerce, à l’agriculture quand ils sont frappés par des fléaux naturels ou des crises économiques.
[Art.] 5 – Rétablissement du divorce.
[Art.] 6 – Réduction du travail à dix heures pour les hommes et 8 heures pour les femmes et les enfants.
[Art.] 7 – Abolition du travail manuel des enfants au-dessous de treize ans.
[Art.] 8 – Suppression du livret d’ouvrier

Dites-moi si votre projet supprime les chambres de commerce et les Prud’hommes.
Je ne vous en met pas plus long, je suis désolé, je ne peut pas assister aux séances de la commission spécialement nommée pour l’organisation de la réunion et sa convocation étant soldat.

Je vous serre la main.
Dufour

Si vous aviez des raisons, donnez-moi les, je l’écrirai à la commission.

LOUIS DUFOUR À ALBERT RICHARD
Tours, le 12 octobre 1882

Cher citoyen Richard,

Quoique mes renseignements ou plutôt mon appréciation soit venue avant le journal, je maintiens tout ce que j’ai dit. Personne ne signe mais les quelques personnes qui s’occupent du journal dont l’ancien comité […]. Ce que je sais, c’est qu’ils ont reçu une certaine somme d’argent et que cela dépensé, le sac est fermé. Si c’était un essai, on aurait fait appel à tous les groupes. On ne l’a pas fait. Du reste, Pronson dit cyniquement qu’il lui importe peu d’où vient l’argent. Pour le moment, son attitude n’est point unanime. Il pourra nous aider sans le vouloir, la tribune publique est ouverte à tous. J’ai envie d’y envoyer quelques articles. Duchaux a changé son fusil d’épaule. Nous nous y attendions mais tout cela […]. J’ai été très blessé de l’attitude du cercle ou plutôt de quelques uns.
Un samedi où Rivière était présent, il parla de faire une conférence et dans l’espace de vingt minutes, l’affaire était bâclée tandis que pour vous, c’est vrai que la question financière résolue. Avec lui, on fera une demande au maire et la conférence sera au profit des écoles laïques et le tour est joué. On a le cirque gratis. J’ai dit que vous étiez le deuxième inscrit et qu’il était naturel que le citoyen Rivière la fasse après vous. Après quelques paroles échangées, il a été décidé que Delaunay ferait la première, Hôtel de Ville, la deuxième Rivière le quinze et vous le quatrième dimanche et j’en suis heureux, nous ne craignons pas la comparaison.
Niepceron s’occupe activement de votre conférence. Il y met beaucoup de bonne volonté. Vous aurez votre table de journalistes. L’Indre-et-Loire, Indépendant, etc. auront leurs lettres. Ils feront grand de ce côté, puissent-ils réveiller l’amour propre de ces voisins. Nos affiches seront noires et en lettres rouges. Touchez dans le point pour les satisfaire, ils feront beaucoup pour vous. Les femmes qui sont très bavardes vous aiment beaucoup et c’est un puissant auxiliaire.
Pour notre comité, nous sommes en voie. La réunion aura lieu le 19. Faites vos frais d’arguments sérieux parce qu’il y aura lutte. Nous enverrons le programme quinze jours d’avance, nous ne vous annoncerons pas. Officieusement avant les derniers jours, notre affaire de l’hospice, dont vous ne parlez pas, nous fait un bien considérable.C’est une bricole qui nous fait un grand bien. Vous ne manquerez pas de faire vos félicitations à nos ouvriers qui ont montré un vrai courage en cette affaire. Ils se sont collé l’administration sur le dos et ces bons bourgeois qui tremblent rien qu’au mot social sont atterrés. Nous allons faire une démarche auprès des radicaux pour qu’ils acceptent de mettre quelques personnalités dans notre comité, c’est de la bonne politique étant donné le scrutin de litre. Wilson et Belle n’accepterons jamais d’être sur la même liste que Rivière.
Devant nos travailleurs, ne faites pas de sortie argue contre le congrès de Saint-Étienne. Une grande partie des citoyens disent que ce qui le fit échouer, c’est l’élément bourgeois.
À vrai dire, cela ne m’effraie pas.
En 70, le congrès de Stuttgart s’est signalé par l’exclusion des Schwertzerins qui faisaient un bruit féroce aux précédentes séances et Libknecht protestait contre une fraction de l’Internationale [qui] prétendait, à la suite de Bakounine, ne perdre ni leur temps ni leur peine aux questions politiques.
C’était la même division, le même brouhaha et pourtant les socialistes n’ont pas diminué. Ce qu’il y aura, c’est l’écroulement de l’état-major qui perdra pied et sera remplacé par d’autres qui ne commettront pas les mêmes abus.
J’ai trouvé la conduite de la bataille assez louche mais pour conclure, de ce bruit il en sortira certes quelque chose de bon.
Votre tout dévoué,

Dufour

LOUIS DUFOUR À ALBERT RICHARD
n.d.

Cher citoyen Richard,

Vous le dirai-je, l’effet de votre conférence a été prodigieux non seulement sur les travailleurs mais sur les bourgeois. Notre comité a été choisi samedi par les délégations et tous les délégués connaissent le but.
Mais hier, j’ai été voir Ducrot. Fournier s’y trouvait et il rendit largement justice à votre talent mais il y a une ombre au tableau : la lettre écrite par vous au gouvernement impérial après le mouvement de Lyon a paru dans le Temps du 26 je crois, et l’on a été sévères. Personne, aucun journal réacteur tourangeau n’a parlé de votre conférence. Mais cette malheureuse lettre vous fera bien du mal si vous n’avisez. À votre place, je frapperais un grand coup car ceux qui sont venus à nous, forcés par votre talent ou vos excellentes théories, retourneront à leurs dieux et le résultat de tant d’efforts partira en fumée.
À bientôt en lettre,
Votre tout dévoué,

Dufour

[TOUSSAINT ?] NIEPCERON À ALBERT RICHARD
Tours, le 10 novembre 1882

Cher concitoyen,

Vous demandez des nouvelles des journaux bien-pensant, voici ce que je trouve à la deuxième page du journal d’Indre-et-Loire (vendredi 10 novembre 1882) :

On écrit de Tours à l’univers
« Dernièrement un habitant de Tours rencontrait le soir trois individus à l’allure suspecte dont un portait avec précaution une certaine boîte. Ces individus causaient dynamite. Il en faut une bonne dose, dit l’un d’eux, pour faire sauter une cathédrale. Le signalement donné par le passant à la police aurait concordé, nous assure-t’on, avec les renseignements que celle-ci avait déjà reçu.
Dans une correspondance de Lausanne publiée naguère par un journal parisien, il est question de la « section de propagande anarchiste » qui s’est greffée sur la section internationaliste, l’alliance d ela démocratie socialiste fondée en janvier 1870 par feu Michel Bakounine, son secrétaire Lankiewicz, Albert Richard de Lyon et Guillaume de Neufchâtel.
Cet Albert Richard de Lyon ne serait-il pas le même que l’Albert Richard qui habite Tours depuis quelques années ?
Aux dernières élections législatives, celui-ci s’est présenté comme candidat socialiste et a recueilli un certain nombre de voix.
Le 29 octobre dernier, il a donné au cirque-théâtre de Tours une conférence sur la constitution socialiste.
D’autre part, il résulte de la même correspondance que l’Indre-et-Loire serait au nombre des départements où le nihilisme est organisé.
L’Albert Richard de Lyon et de Tours ne sont qu’un, il y a plusieurs mois que nous le savons, que ce personnage aussi médiocre que prétentieux, aussi dissimulé que haineux, se remue beaucoup. Mais nous savons aussi qu’il se cache soigneusement, fait le modéré et lance en avant quelques pauvres diables qui croient en lui.
Nous savons et pourrions prouver aussi que le sieur Albert Richard est capable de tout excepté risquer sa peau : car il est excessivement prudent.
Aussi, ne sera-t’il pas facile de la prendre en flagrant délit. Puis qui le pourrait surprendre ? La police de Tours, quelle bonne plaisanterie.
Jamais, police ne se garda tant de surveiller les malfaiteurs. »

Voici l’épître pour que vous soyez informé de la jolie presse du journal du citoyen Delahaye, défenseur du roi et de l’autel.

Pour ce qui est de la conférence projetée le 25 décembre, nous ne sommes pas encore sûrs si le cirque sera libre ce jour-là. Nous ferons le possible et vous serez informé à temps s’il y avait changement de date.
Tout à vous,

Niepceron

[TOUSSAINT ?] NIEPCERON À ALBERT RICHARD
Tours, le 15 novembre 1882

Cher citoyen,

J’ai vu hier M. Coursière. Nous en avons terminé ensemble. C’est vous dire que la Conférence se fera le 25. Courant, avec le titre que vous m’avez annoncé : l’Instruction républicaine. Maintenant, nous n’avons plus qu’à faire pour votre dernière conférence que ce que nous avons fait pour l’autre.
Vos amis et moi en particulier vous serrent la main.
À vous,

Niepceron

LOUIS DUFOUR À ALBERT RICHARD
Tours, le 15 novembre 1882

Cher citoyen Richard,

J’ai fait votre mission aussitôt la réception de votre lettre. Je l’ai portée à ces messieurs. Ce ne sont pas de vulgaires calomniateurs comme vous paraissiez le penser mais des gens qui ont entendu dire que cette lettre avait paru dans le Temps.
J’ai cherché le journal à la gare, aux librairies, dans les cafés, impossible de se le procurer, des promesses de la part des garçons à qui j’ai promis pourboire. Je me suis remis en campagne sans plus de succès. Tout me fait espérer que je l’aurais demain. Un abonné du café m’a promis de le chercher. Ce que vous a dit Losserand n’est qu’une blague, nous n’avons jamais parlé de n’inviter que les gens de la ville.
Nous n’avons pas l’intention de faire de longs discours d’ailleurs et le temps manquerait absolument.
Losserand, conseiller municipal, demeure rue de l’Horticulture. Envoyez-moi les mêmes documents parce que Losserand ne se commande pas, il fait ce qu’il veut et rien de plus.
Votre père Boucheron vient encore de faire des siennes. Il accepte d’être du comité et de la commission d’organisation et dès la première réunion, il nous lâche avec perte en nous reprochant d’être trop d’ouvriers (nous sommes 8) et de ne pas admettre les vieux lutteurs. Moi qui ai fait ce que vous savez. Saint-Herant, ce monsieur aurait voulu que nous allions nous agenouiller.
Les sept Tours journal, l’Indre-et-Loire, 2 numéros de l’Union libérale, une Petite France, voici ce que vous avez dû recevoir. À bientôt si je puis le numéro du 30 du Temps.
Écrivez donc également à Corbeau, rue de la longue échelle, conseiller municipal, si vous le jugez utile. Lui nous reproche, sans aigreur, d’être huit ouvriers sans grandes capacités. Il a un peu raison mais je crois, moi, qu’avez quelques hommes intelligents, cela suffit pour que tout aille bien. Du côté bourgeois, je ne vois que quelques têtes intelligentes.
J’attends une lettre et vos documents et vous serre la main.
Votre tout dévoué,

Dufour

LOUIS DUFOUR À ALBERT RICHARD
Tours, le 19 novembre 1882

Cher citoyen Richard,

J’ai bien tardé à vous écrire surtout avec l’état des choses actuelles. Je vous assurer que n’était pas vous, j’eus abandonné tout. Arrivons au fait : l’intrigue dont je vous ai parlé s’est continuée et a porté ses fruits. La formation du comité est reculée, nous avions loué la salle d’avance et payé donc soixante francs perdus, je me suis raidi contre les difficultés, j’ai perdu une masse de temps pour tout remplacer les candidats que l’intrigue faisait démissionner et au moment de faire les affiches, on en annonce encore deux autres. Je propose de les nommer nous mêmes. On s’y refuse, les bourgeois étaient absents naturellement et l’on demandait la réunion des délégations. Nous n’avions plus le temps. Nous n’avions donc plus le temps et la comédie était jouée, enfin samedi, le serpent à lunette a l’audace de parler d’intrigue, d’exclusivisme, que c’est moi. Ah, cette fois c’en était trop ! Je l’ai laissé finir ses explications cauteleuses et racontant la vérité dépouillée d’artifice et le cercle l’a jugé comme il le méritait. Losserand m’a donné un rude coup de main. Mais le mal est fait. Dès huit heures dimanche, je suis sur pieds, je vais chez l’architecte pour faire reculer la date si c’était possible. J’y retourne, encore rien. Je cours chez l’adjoint du maire lui demander la salle pour une autre fois gratuitement. Nous aurions fait une quête pour les écoles laïques. Pour se débarrasser de moi, il me dit que Denis, un comptable, ferait une conférence très prochainement et que nous pouvions échanger. Je vais chez Denis, leur réunion ne se faisait que dans un mois. Il n’était pas prêt, à peine le temps de déjeuner. Il y avait séance à la libre-pensée et comme Niepceron avait fait faire votre conférence, Dambricourt a voulu le faire toucher de la présidence. Mal lui en a pris. Moi, mon but était raté. J’avais imaginer pour utiliser le Cirque de faire une conférence à trois, dans une semaine. Vous auriez pu vous apprêter à causer quinze minutes.
Mais Dambricourt me refusa d’une façon jolie c’est vrai. Il me demanda si son beau-père pouvait venir. Je lui dit que oui et là, il me fait une objection. Mon beau-père déteste Richard et il ne l’a jamais vu, mais que voulez-vous, il a reçu une communication de Lyon et dans son idée, ce n’est pas un Républicain, et ces renseignements il les tiendrait, dit-il, de Barodet. J’ai ceci à vous conseiller, la chasse jalousie seule fait marcher cet homme-là. Il est coulé irrémédiablement, coulé et bien il est capable de tout dans un moment électoral, même de jeter la lettre de Barodet dans vos jambes et tout ceci est la millième partie de tout ce que je vois et entend et vous croyez que le dégoût ne vient pas au cœur d’un homme qui en somme n’a et ne peut avoir aucune ambition personnelle en somme. Si je reste sur la brèche, c’est que toute cette bourgeoisie républicaine m’écoeure, ils ne pensent qu’à eux et ne voient que leurs ventres, à peu d’exception près.
Mais consolez-vous de cette lutte sans merci qu’on vous fait. Vous êtes aimé du peuple, là est votre récompense immédiate, tant qu’à moi, malgré l’écoeurement et le dégoût, tant que vous n’avez pas des hommes en qui j’ai grande confiance, je continuerai à vous servir et ferai le sacrifice de mon repos.
J’ai vu votre cousin, je lui ai fait comprendre que ce n’était pas le moment mais que sitôt cet…
Excusez mon potinage mal […]
Je vous serre la main. Votre tout dévoué,

Dufour

NB : Louise Michel vient à Tours dans quelques semaines, ça nous fera du bien. Si j’avais eu son adresse, je lui aurais cédé le Cirque. Le vieux Racine veut bien lui louer 200 francs dit-on. On n’est pas plus propriétaire. Ça l’aurait bien arrangé.

LOUIS DUFOUR À ALBERT RICHARD
Tours, le 3 [décembre?] 1882

Cher citoyen,

Relativement à vos lettres […] bien reçues, ce n’est que mal entendu. Mais sauf qu’au comité, ils ont Vivouit. Où il est, il ne cesse pas de m’inquiéter soit sur les résultats. [Il] en a obtenus. Il y a, comme il fallait s’y attendre du reste, trois courants : les ouvriers modérés, les bourgeois et les socialistes. Nous ne serons que vingt présents, n’ayant pu trouver assez de candidats et nous comptons […] sur nous. Le plus impopulaire des […], j’ai nommé Grassier […] vraie ficelle politique […] faudra se méfier, je l’ai […] est de tourner ou redire […] reprochant de ne pas savoir ou […] de les embrouiller dans leur […] sur les réformes à opposer et tout cela devant d’autres ouvriers plus timorés.
Ils nous poussent jusque dans nos derniers retranchements. On en peut sortir que par la révolution violent ou par une […] dont il se sert pour prouver […] revendications.
[…] opposent la réussite car […] il faut et je le dis […] Schneider qui […] que vous inauguriez des conférences en campagne. De cette façon, vous vous imposerez au comité, sans cela je ne puis répondre de rien. Au mieux, ce qui arriverait certes, que le comité se dissolverait car tant qu’à les suivre sur un terrain qui ne serait pas à peu près le nôtre, jamais.
Pour l’argent, peu de dépenses […] de numéros du […] lequel on place un […] annonce de conférences […] des clauses ou qui est […] il faut agir, peu […] ces moutons, si vous […] municipal-général que […], vous auriez un plus grand cercle d’acteurs. Il serait fort ennuyant d’être obligé de […] du comité. Or en sommes-nous […] comme vous le voyez […]
[…]
Relative aux Grassier et consorts, envoyez-moi si cela ne vous ennuie pas trop une sorte de questionnaire avec réponses sabrées afin de trancher la conversation avant qu’ils ne s’engagent.
J’ai déjà répondu que j’étais socialiste comme tous ceux qui comprennent que l’homme n’est pas fait pour enrichir les autres aux détriment de sa santé et de celle de sa famille, que tout homme a […] de bien-être physique et […] porte à ne subir aucune […] et que si la société […] fait indépendant de sa […] que ce n’est que les patrons de tous les temps qui ont divisé le peuple qu’afin de mieux l’asservir. Je conclue que si nous demandons une constitution sociale, c’est […]

Votre tout dévoué,
Dufour

Faites-nous donc une conférence à Amboise un jour, travaillez en conséquence.

[TOUSSAINT ?] NIEPCERON À ALBERT RICHARD
Tours, le 18 décembre 1882

Citoyen,

Le 25 décembre approche et comme cela est convenu, nous faisons le possible pour notre conférence pour ne pas avoir de reproches à nous faire.
Je vous envoie des lettres au cas où vous en aviez besoin. Vous n’avez qu’à en demandez si vous en désirez d’autres.
Aujourd’hui je vais faire imprimer les affiches et ne rien négliger.
D’après l’avis de plusieurs, nous croyons que vous pouvez faire encore une autre conférence avant le retour des hirondelles. En devenant ami du public, votre prestige n’aurait, en cas d’élections, rien à y perdre, quel que soit votre avis.
Tout à vous,

Nipceron
Tourner SVP

Monsieur,

Je profite de cette missive pour vous prier de vouloir bien nous faire le plaisir d’accepter chez nous un déjeuner le 26 courant, de 11 heures à midi. Craignant que d’autres ne vous retiennent, voilà, Monsieur, pourquoi je prend l’avance.
Comptant, Monsieur, sur votre bon vouloir.
Je suis, en vous attendant,
Votre toute dévouée,

f. Niepceron

LOUIS DUFOUR À ALBERT RICHARD
Tours, [décembre 1882?]

Cher citoyen Richard,

Comme le journal vous l’apprendra, notre liste est restée debout. Aujourd’hui que la victoire est à nous, ne croyez pas que je sois dans la joie complète. Non, si le parti socialiste est déjà puissant à Tours, il ne faut pas se le dissimuler. Nos sottises, si tous en faisons, pouvons-nous aliéner une partie de ceux qui sont venus à nous. Envoyez-donc quelques bons conseils à Losserand, Garnier, Corbeau, Bredif et faites-leurs bien voir qu’ils tiennent les destinées de notre parti entre leurs mains. S’ils le conduisent correctement, je prédis mille voix de plus aux socialistes dans 15 mois. Qu’on ne se le dissimule pas, la guerre était d’un ardeur sans précédent contre les ouvriers. Losserand a été l’objet d’insinuations des plus malveillantes de la part du [cercle] Rabelais. Il a été obligé, dans une de nos séances, de faire sa biographie, et tous étaient par les Bourgeois l’objet de risée, Corbeau pour son nom, Losserand pour son allure, Bredif pour son langage, etc.
J’ai vu toute la famille Martin de Périgueux et pour Fautras, n’y comptons plus, c’est un homme mort. Mais tous me prient de vous faire mille souhaits. Ils seront tourangeaux dans dix-huit mois. Des recrues, toujours il nous en faut, c’est vrai.
Un bonjour de la part de tous les amis. Si vous m’écrivez, ce qui me ferait un vrai plaisir, mettez-donc un feuillet pour Duchêne qui est si actif. Il en sera largement honoré. Barat se montre toujours de plus en plus malhonnête en politiquer. Il soutient, pas par jalousie, les aristocrates vieux style contre nous. C’est le meilleur amie de la réaction et votre pire ennemi. Il faut en tirer ce que vous pouvez mais défiez-vous de lui. Je n’ai plus rien à vous dire. Nous aurons le plaisir de vous serrer la main samedi, m’a-t'[on] dit.
Tout à vous,

Dufour

Si vous n’avez plus aucun besoin de vos bouquins, rapportez-les et vous prendrez ce qui vous fera plaisir dans ma bibliothèque.

LOUIS DUFOUR À ALBERT RICHARD
Tours, n. d.

Cher citoyen Richard,

Le comité est désormais formé. Si vous avez lu l’Union, vous avez sans doute remarqué que nos amis tiennent la tête et que Grassier est l’avant-dernier. Boucheron, très loin, ils ont des têtes déconfites, c’est à n’y pas croire.
Maintenant, Dreux a fait un acte d’autorité qu’on lui a fait sentir en nommant Niepceron président. Il a fait lui-même un procès-verbal qui ne porte absolument que ses discours, discours plats et vides, mais qui l’ont engagé. Il y est parlé de socialisme, etc. De ma proposition, il n’en est pas question. Il est parti avant la fin de la soirée, pas content. Votre rectification au journal paraîtra au prochain numéro. Il a, ce rédacteur, une vraie manie de la retouche.

Niepceron 616 Président
Blanchard 614 Vice-président
Malécot 608
Clément 604 Trésorier
Bouvier 604
Lefevre 600 Trésorier
Daumas 600
Dufour 599 Secrétaire
Boudin 598
Troussard 588 Secrétaire
Giraud 586
Verneau 584
Dreux 583
Schmitt 583
Charpentier 581
Ratoré 581
Boucheron 561
Boudaye 490
Grassier 449
Durand 324

J’ai accepté les fonctions de secrétaire qui sont certainement au-dessus de mes forces. Mais là, on est bien placés pour savoir et voir venir. Les intrigues électorales ne m’échapperont pas de cette façon et au point de vue social, je serai plus utile.
Mon article sur le machinisme a été coupé dans son développement. Il était un tiers plus long.
J’ai une idée. Dites-moi ce qu’elle vaut. Nous n’avons que cent francs environ de reste au comité. Il faut se faire de la monnaie. Les souscriptions, mauvais système.
J’ai pensé à une grande conférence, vrai coup de tambour, faire venir Clovis Hugues qui a été en prison ici et trois orateurs tourangeaux, prendre 25 centimes au profit du comité. Qu’en dites-vous ?
Au Tours journal, j’ai fait une sortie anti-gambettiste. Je n’ai pas trouvé d’écho, j’ai cru devoir parler d’alliance entre eux et nous, j’en ai trouvé. Pour moi, je crois être fixé. Maintenant, ils mettent leur canard en action en janvier, mais ils s’arrangent de façon à garder leur ligne politique. Vous qui vous y connaissez, méditez.
Tout à vous,

L. Dufour

LOUIS DUFOUR À ALBERT RICHARD
Tours, n. d.

Cher citoyen Richard,

Je vous envoie l’adresse de Kistemaeckers comme Barat me l’a donnée. Mais, il a, m’a-t’-on dit, changé de domicile et c’est désormais boulevard du Nord qu’il faut s’adresser au lieu de 25 rue Royale.
Je ne peux m’occuper de rien à l’heure actuelle, mais mon temps n’est pas perdu. Je travaille sur à la caserner, au milieu des jeunes gens sur lesquels nous pouvons peut-être compter. J’ai distribué des solidarités aux plus intelligents.
J’ai parlé longuement avec les sous-officiers. Aucun n’est rétif au mouvement. J’ai acquis une certaine autorité, je m’en aperçois quand on vient me chercher pour arbitre.
Quand vous viendrez, écrivez-moi donc, si je pouvais avoir une permission. Ke ne peux vous donner aucun détail sur le mouvement tourangeau, je ne vois personne.
Je vous serre la main,

L. Dufour

EDOUARD FAUTRAS A ALBERT RICHARD
Tours, 4 août 1885

Mon cher Richard,

Je sors à l’instant de chez Dufour à qui j’ai donné communication de votre lettre. La réponse n’est pas encourageante : il est impossible de lancer votre candidature en ce moment, car ce serait courir à un échec certain. Tout est à recommencer et ce qu’il y aurait de plus logique à faire serait de préparer le terrain pour une autre législature.
Tel est, dans son essence, le résumé de notre entrevue.
Il ne faut pas compter sur Beslais, lequel, quoique toujours très dévoué, ne peut absolument rien faire, par cette seule raison qu’il n’est rentré que par la petite porte chez ses anciens patrons. On ne tolérerait plus aujourd’hui ce qu’il faisait autrefois.
Mais ce n’est pas tout. Si les chefs manquent, les groupements socialistes sont complètement désorganisés. Plus de chambre syndicales et deux pauvres petits groupes qui peuvent à peine vivre, dépensent volontiers ce qu’il leur reste de force pour se dévorer.
Tel est le résultat des doctrines intolérantes. On sème la défiance et l’on en récolte le fruit.
Je ne veux point parler sur Cercle Républicain qui suit toujours les mêmes hommes, ni de la libre-pensée où quelques bons souvenirs vous ont été gardés. Ces deux groupes nagent en plein dans l’élément radical. Leur action, du reste, ne me paraît pas bien démontrée pour les élections prochaines, car d’autres comités, constitués il y a longtemps déjà, se préparent à circonvenir tout le mouvement électoral.
C’est précisément sur ce travail que je veux attirer votre attention. Nommons d’abord les unités :
1° Le Comité des villes et des Campagnes : Compère, Lefebvre et Bertrand ; 2° Le comité Belluot, dit Comité de Bléré, qui sent son Wilson d’une lieue à la ronde ; 3° Le comité radical communal de Tours que font mouvoir les Ducrot, les Corbeau et peut-être bien aussi Losserand ; 4° une autre Comité dit d’Initiative, qui se donnerait volontiers la satisfaction de régenter les autres, sous le prétexte de les éclairer et de servir de trait d’union entre les différents groupements républicains. Ce dernier émane de la loge de la rue de Jérusalem.
Mais tout ne va pas comme sur des roulettes, car ces frères ennemis sont en train de se montrer les dents.
Le Comité Bertrand se donne une peine de diable, convoque réunion sur réunion et pour la première des quatre Comités n’a trouvé rien de mieux que de faire du boucan et de l’obstruction.
Le Comité radical est également venu à la rescousse et, en bon chien qu’il est, ne veut pas partager l’os. Il lui faut tout ou rien. Vous n’êtes pas radicaux ?.. foin de vous ! Et là dessus, St-Hérand, son président, donne sa démission de membre du Comité d’initiative, attendu que son groupe vient de décréter :
Article unique – Pas de rapports avec comités non radicaux !
Pan ! Attrape-ça, Belluot.
Et de pauvre Belluot, grand seigneur, comme son maître, personnellement radical comme il le dit, n’y regarde pas de si près en matière d’élection. Il bat la grosse caisse pour la création de comités cantonaux, qu’il voudrait pouvoir englober dans son orbite, fait appel à toutes les bonnes volontés et se cramponne désespérément aux pans des redingotes de Mrs du Comité d’Initiative.
En somme, le programme de tous ces gens est le même, on se dispute pour des compétiteurs et le plus clair du résultat sera : que Rivière, Wilson, Belle, probablement Fournier et un autre politique de cet acabit, Drack dit-on, feront un beau jour de novembre, leur entrée triomphale au pailais Bourbon, sans culottes courtes mais en habits.
Mais tout ceci ne veut point dire qu’il n’y ait rien à faire pour le moment. Si les groupements sont détruits, le socialisme a fait des progrès. Il y a plus d’éléments, les individus ont des convictions mieux arrêtées et je crois sérieusement que des cercles importants pourraient se constituer. Seulement, les hommes devraient être groupés en dehors de tous les moyens d’organisation employés jusqu’ici et qui sont bien usés.
Deux groupes sont actuellement constitués : l’Avant-Garde et la Sentinelle. Je fait partie du dernier avec Losserand. Dufour est membre du premier. Les deux groupes sont à couteaux tirés pour de misérables questions de personnalités. Giraud et Rétif s’en veulent à mort et nous faisons tous des efforts, Dufour d’un côté, Losserand et moi de l’autre, pour les rapporcher.
Nous essayons actuellement à fonder un journal et je crois qu’avec ce moyen, si nous étions susceptibles d’un pu d’abnégation et de bonne volonté, avec de l’action, nous pourrions faire vivre l’organe et jeter les plans d’une grande organisation socialiste.
Je suis chargé de présenter un rapport au groupe sur un appel en réunion publique de tous les anciens groupements ouvriers qui voudraient, avec ce but unique : fonder un journal socialiste, se reformer. Je crois qu’il y a chance de réussite.
C’est pourquoi, je voudrais vous voir à Tours, nous aidant de vos conférences, effaçant petit à petit ou d’un seul coup au grand jour, la mauvaise impression qu’ont laissé les manœuvres de Corbeau et consorts. Enfin, vous pourriez juger vous-même de l’opportunité de frapper d’un grand coup.
Mais, n’auriez-vous pas, à défaut de cette satisfaction, assez à faire si, après avoir fait tourner le mouvement que nous commençons à votre profit, vous étiez placé à la tête de l’administration d’un journal soutenu par les deniers du parti ouvrier. Ne serait-ce qu’un moyen de vivre que vous pourriez l’accepter, en attendant que d’autres élections vous offrent la bonne chance de faire un député.
Vous connaissez assez la presse tourangelle pour savoir qu’elle n’est pas bien difficile à supplanter ? Lorsque je vous aurais dit que la Satyre est morte moralement, que Tours journal est d’une maladresse sans nom, je n’aurais plus qu’à faire un même paquet de la Petite France, de l’Union libérale et de la Touraine républicaine créée pour soutenir la candidature de Belle. Y ajouterai-je aussi le futur canard radical à qui le Comité communal de Tours doit donner le jour ?
Je termine en vous serrant la main et en restant à votre disposition.
Votre ami,

E. Fautras

LOUIS DUFOUR À ALBERT RICHARD
Tours, n. d. [août 1885]

Mon cher Richard,

Fautras m’a communiqué une lettre de vous demandant des nouvelles sur la situation et l’état général des esprits en Touraine.
Madame Richard m’a parlé aussi d’une lettre de Magouet vous offrant la candidature. J’en suis heureux, cela prouve que vous vivez encore malgré le mal qu’on a tenté sur vous, dans l’esprit de certains ouvriers qui sont assez droits et assez justes pour ne point oublier les services rendus.
Je vous peindrait mes impressions politiques comme d’habitude sans détours comme sans faiblesse. Je ne crois point même à un succès relatif. Il y a certes plus de socialistes que jamais, mais l’absence complète de chefs autorisés a fait que les individus sont auc prises de ces luttes sans grandeur et sans avenir. Naquit la Sentinelle, groupe d’études sociales fondé par mon beau-frère Rétif.
Ce groupe pourrait vous soutenir. Par contre, vous aurez contre vous Giraud de Paris et avec lui Giraud de Tours qui prétend vous connaître et vous avoir vu à l’oeuvre à Genève. Donc, il ne faudra pas compter sur Giraud passé au camp anarchiste. Il a rompu dernièrement avec nous en faisant un discours au Cirque où il concluait à l’abstention. Il fut forcé de descendre de la tribune sous les huées et les ris de gens qui n’étaient pas du tout préparés. Niepceron n’est plus à la libre-pensée et ne fait plus de politique. Beslais n’est plus libre chez Mame. Fautras ne doit plus jouir de ses droits politiques depuis sa déconfiture commerciale et mon patron appartient au comité radical.
Il n’y a pas de doute que si vous aviez toujours été parmi nous à guerroyer après votre échec, votre caractère vous eut imposé aux ouvriers et vous auriez étouffé dans son germe toute division parmi vos soldats et, organisés, nous aurions imposé votre nom à une liste radicale. Aujourd’hui, la plupart ne vous connaissent que par les exploits de la Divine Chopine, c’est-à-dire sous de laides couleurs.
Nos groupes à nous ont fini par vous oublier et se sont évertués sur les articles de programme du parti ouvrier que nous avons suivi sans interruption et nos orateurs étaient ceux du parti ouvrier (très prochainement vient J.-B. Clément). En politique, quelque talent qu’un homme possède, il est vite oublié et a vite disparu. Il y a une nécessité absolue pour tout homme taillé pour jouer un rôle dans la société à ne jamais, quoi qu’il advienne, abandonner le champs de bataille parce qu’un jour ou l’autre les cahots politiques peuvent le porter sur sa vraie voie.
Voilà, je crois tout ce que j’ai à vous dire sur la situation. Je pourrais développer cela sans vous en apprendre davantage.
Je vous serre la main,

L. Dufour

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